Oui, toi ! Qui que tu sois, le gueux ou le puissant,
Sur le chemin des ans tu n'es que le passant,
L'éphémère captif d'une changeante forme
Que chaque jour pétrit, que chaque heure transforme.
La vie est une étape et tu la quitteras,
Tu ne peux demeurer ; passant, tu passeras.
Le siècle même meurt en ajoutant son nombre
Au passé qui bientôt l'enferme dans son ombre.
Au grand chêne abattu succède l'arbrisseau
Et l'ancêtre fait place à l'hôte du berceau.
Malgré l'évasion des soleils et des mondes
Vrillant l'immensité de leurs rapides rondes
La loi suprême atteint les astres frémissants.
Le Destin s'accomplit : vous passerez passants.
Mortel ! Écarte-toi des gloires incertaines
Offertes ici-bas aux passions humaines,
Ta fragile grandeur n'est, hélas, bien souvent,
Qu'un vain mot retracé sur un sable mouvant.
Que seule la bonté, cette divine flamme,
Illumine ton cœur en élevant ton âme.
Aime bien car, vois-tu, l'universel amour
S'inscrit, resplendissant, au front de chaque jour ;
Il prodigue la vie et son œuvre féconde
S'affirme en toute chose avec chaque seconde ;
Il anime l'esprit aux effluves du sang
Et discipline l'être en créant le passant.
Ce passant dont la cendre, au néant appelée,
Se sépare, au tombeau, de son âme exhalée…
Cependant que promis à l'immortel émoi
Monte vers la clarté l'impérissable Moi.
Jean-Bernard MARY-LAFON
11 mai 1934